LES FORESTIERS MARCHENT POUR LA FORÊT
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Quatre grandes marches parties des quatre coins de l’hexagone rassemblent forestiers de L’ONF, associatifs et amis de la nature, de la randonnée, pour protester contre les menaces de privatisation de l’administration forestière et l’industrialisation croissante de la gestion et de l’exploitation forestière.

EELV soutien cette initiative par des communiqués et la participation de nombreux militants aux dizaines d’initiatives locales dans les villes et villages étapes des différentes marches. En particulier, le fim « Le temps des forêts », sorti en septembre, est projeté dans des dizaines de villes dans le cadre de débats sur la qualité de la gestion forestière. N’hésitez par à rejoindre ces marches qui convergeront les 24 et 25 octobre à Cérilly (Allier) en forêt de Tronçais et à consulter notre analyse sur ce sujet ainsi que les propositions d’EELV sur la forêt. Yannick JADOT participera à la marche à Nevers.

www.marche-pour-la-foret.webnode.fr

La privatisation de la gestion des forêts publiques

Depuis de nombreuses années, les représentants des personnels dénoncent une privatisation larvée de l’ONF et de la gestion des forêts publiques qui s’est traduite par une augmentation de la part des activités commerciales (études, expertises et travaux portant sur des milieux non forestiers (maîtrise de la végétation réseaux ferroviaires, électriques, arbres en ville, sites touristiques …).

De plus en plus d’activités commerciales par décision de vendre des prestations autrefois réalisées gratuitement au titre du Régime forestier : opérations techniques(cloisonnements d’exploitation, études paysagères …), accueil en forêt, certaines tournées de surveillance.

L’ONF a perdu 22% de ses emplois en 15 ans, le développement des activités commerciales au détriment de la réalisation des missions régaliennes dont la plupart sont confiées à l’ONF par la loi : présence sur le terrain, missions de police, protection des sols et des peuplements, service aux collectivités, sensibilisation à l’environnement … Les forêts publiques sont moins protégées et la qualité de gestion s’est dégradée.

Au cœur de cette dérive, le statut de l’établissement lui-même qui renvoie un service public chargé de la gestion durable des forêts publiques à ses propres ressources : En 40 ans le volume récolté dans les forêts domaniales a augmenté de 29 % mais la recette correspondant à cette récolte a baissé de 40 %*.

*Sources : documents Conseil d’Administration de l’ONF – Indices INSEE

Mais ce paramètre n’est pas le seul en cause car la gestion des forêts des collectivités (2,6 millions d’ha) qui doit être compensée par l’Etat pour en garantir la qualité et les services souffre de la non-revalorisation du versement compensateur que l’Etat verse à l’établissement. Il a perdu près de 20% en euros constants en 30 ans en passant de 171,6M€ à 140,1 M€. Plus encore, en étant réduit à 120 M€ pendant plusieurs années, il a contribué à alimenter l’endettement de l’établissement. Les recettes actuelles de garderie des forêts des collectivités s’élèvent à 170,5 M€, dont 30,1 M€payé par les collectivités, soit 17,6 % .

Enfin, ce glissement s’est accentué dans la dernière période avec l’obligation pour l’ONF de verser des cotisations retraites à l’Etat sans compensation. Il n’y a pas de système de cotisation retraite patronal dans la Fonction Publique, mais par un jeu d’écritures, l’Etat a fini par doter ses administrations de budgets retraites fictifs équilibrés en recettes/dépenses. Mais les établissements publics se sont vu imposer de réelles cotisations, compensées au départ puis entièrement à leur charge. Pour l’ONF ce surcroît de dépenses (CAS pensions) atteint maintenant 100M€, soit 11 % de son chiffre d’affaires.

La direction actuelle de l’ONF prépare activement ce basculement vers le privé en recrutant de nombreux contractuels de droit privé tout en cessant de recruter des fonctionnaires.

Pour combler ce déficit, les Ministères de tutelle de l’ONF (MAA et MTES) et la Direction ont décidé de défonctionnariser l’emploi en ne recrutant plus de fonctionnaires en 2018 et 2019 en envisageant de supprimer définitivement le statut dérogatoire de l’EPIC ONF. C’est ce statut qui permet à l’ONF de recruter des fonctionnaires pour assurer ses missions régaliennes, de service public et de police. Depuis 2018 la Direction recrute même des salariés non assermentés sur des postes de terrain comportant ces missions notamment de police … en contradiction avec la loi !!!

L’emploi ONF est constitué aujourd’hui à 60 % par des fonctionnaires et 40 % par des salariés principalement ouvriers forestiers. Avec les nombreux départs en retraite des années à venir, les fonctionnaires seraient rapidement minoritaires dans l’effectif ONF.

Cela s’est produit dans d’autres établissements publics (France Telecom, EDF …) et l’issue a toujours été la même : basculement du statut de l’établissement et privatisation. D’ailleurs des sources internes convergentes laissent entendre que la Direction de l’ONF et les tutelles travaillent sur une hypothèse « ONF société anonyme » à l’horizon 2020.

Conclusion : une activité relevant de plus en plus du domaine concurrentiel, changement du statut des personnels, du statut de l’établissement. Dans ces conditions il n’y aurait plus de raison valable à ce que la gestion des forêts publiques ne soit pas ouverte à des acteurs privés … Ce qui aboutirait à la privatisation de la gestion des forêts publiques. C’est d’ailleurs ce que préconise la Direction générale du Trésor public dans une note interne du 23 décembre 2010 : « A moyen terme il pourrait être utile d’étudier la possibilité de déléguer la gestion des forêts communales sous forme de concessions à des prestataires privés ». Et si quelques gestionnaires privés mènent des gestions multi fonctionnelles de qualité, il est bien évident que cette privatisation s’effectuerait au détriment des fonctions environnementales et sociales des forêts publiques et donc de l’intérêt général.

L’industrialisation de la forêt

L’industrialisation de la forêt, à savoir transformer la forêt pour l’adapter aux besoins de l’industrie, n’est pas un phénomène nouveau. Le régime du taillis simple à courte rotation (coupe rase de tous les arbres tous les 10 à 20 ans) visant à produire bois d’industrie et de chauffage a été appliqué pendant des siècles dans notre pays. Il a largement contribué à l’appauvrissement des forêts et des sols forestiers voire à la perte de l’état boisé par épuisement des sols.

Pour répondre aux demandes de volumes de la filière bois, la récolte augmente régulièrement. Les âges d’exploitabilité des peuplements de futaie régulière sont sans cesse revus à la baisse pour récolter des peuplements toujours plus jeunes. De ce fait la surface occupée par les vieux peuplements a été fortement réduite avec toute la biodiversité qui leur est inféodée. Par ailleurs notre pays a connu de grandes vagues d’enrésinement transformant des peuplements feuillus mélangés en peuplements mono spécifiques résineux. Une grande partie de ces peuplements résineux sont récoltés très jeunes (35-45 ans) de manière à satisfaire les commandes des industriels (bois moyens standard) et des investisseurs (rendement financier maximum et retour sur investissement « rapide »). Pour ce faire ces peuplements subissent les mêmes méthodes que celles de l’agriculture intensive : travaux du sol, fertilisation, pesticides avec bien sûr les mêmes conséquences néfastes pour l’environnement. Ces pratiques sont désormais courantes dans le Limousin, les Landes, le Morvan … et malgré les engagements 45 produits herbicides et phytosanitaires restent autorisés en forêt partout en France.

De la même manière, cette industrialisation dessert la biodiversité forestière (84 % des forêts métropolitaines ne comportent que deux essences dans l’étage dominant (le couvert) ; pire, 51 % n’en comportent qu’une seule. Appauvrir la diversité forestière fragilise la résilience des peuplements au changement climatique et aux bouleversements majeurs qui s’annoncent.

Depuis le début des années 2000, l’industrialisation de la forêt prend en Europe une nouvelle ampleur du fait des politiques de développement du bois énergie mises en œuvre par ses états membres.

Pour réduire les effets du changement climatique, les pays européens ont décidé de développer les énergies renouvelables. L’Union Européenne s’est fixé un objectif de 20% d’énergie renouvelables à l’horizon 2020 et de 27% à l’horizon 2030. Dans l’absolu c’est une bonne chose même si l’effort devrait porter en priorité sur les économies d’énergie…

mais :

– En Europe la production d’énergies renouvelables repose à près de 50 % sur la combustion de biomasse solide provenant principalement du bois récolté en forêt. L’utilisation de bois à des fins énergétiques (chauffage, électricité) a augmenté de 60% entre 2002 et 2012 (Eurostat édition 2014). Au-delà les plans « énergies renouvelables » des états membres qui déclinent ces objectifs conduiraient à terme à utiliser à des fins énergétiques l’équivalent de la totalité du bois récolté dans l’UE en 2013. En France, le bois énergie représente déjà plus de 40 % des énergies dites « renouvelables ». Mais les objectifs de développement du bois énergie apparaissent  disproportionnés par rapport à ce que les forêts peuvent donner en plus de ce qu’on y récolte déjà. Ce simple constat explique la volonté d’augmenter fortement la récolte de bois.

– Le postulat consistant à affirmer que bruler de la biomasse forestière à la place d’énergies fossiles serait une des solutions pour réduire les émissions de CO2 est largement battu en brèche par de nombreuses études (Revue forestière française juin 2011, FERN octobre 2016, Woods Hole Research Center 2018 …).

En France cette volonté d’augmenter fortement la récolte de bois s’est traduite par les objectifs du Grenelle de l’environnement et des assises de la forêt (2007) qui visaient à augmenter de 20 millions de mètres cubes la récolte annuelle de bois en France à l’horizon 2020 : de 60 à 80 millions de mètres cubes. Pour argumenter cette augmentation de la récolte, les politiques ont mis en avant les données de l’Inventaire Forestier National (IFN) qui estimaient l’accroissement annuel donc la production des forêts françaises à 103 millions de m3 par an. La forêt française apparaissait donc notoirement sous récoltée ce que contestaient une grande partie des gestionnaires publics et privés.

Or en 2011 l’Inventaire Forestier National (IFN) a reconnu que sa méthode de calcul avait conduit à sur estimé de 16 % la production annuelle de la forêt française qui se situerait plutôt à 85 millions de m3 … soit 18 Mm3 de moins que ses précédentes estimations (IF n°28 – 3ème et 4ème trimestres 2011 – « Prélèvements de bois en forêt et production biologique »).

Malgré la reconnaissance par l’IFN de sa forte sur estimation, l’objectif de la puissance publique d’augmenter à l’horizon 2020 de 20 Mm3 la récolte de bois en France n’a jamais été remis en cause.

Depuis le Grenelle de l’environnement, la France se couvre donc de chaufferies bois et de centrales électriques à biomasse : de quelques centaines en 2000 à près de 6 000 en 2017. Certaines de ses installations sont des aberrations économiques et écologiques telle que lacentrale UNIPER à Gardanne (13) qui va importer 50% de son approvisionnement bois d’Amérique du nord pour le bruler avec des rendements dépassant à peine 30%. Le tout financé par 1,4 milliard d’euros d’argent public sur 20 ans via le tarif de rachat préférentiel de l’électricité produite.

La demande en bois énergie est donc en très forte augmentation et couplée à une forte demande en résineux, la récolte s’intensifie : multiplication des coupes rases, transformation de peuplements feuillus en peuplements résineux, éclaircies brutales, récolte des arbres entiers (y compris souches et menus bois qui fertilisent les sols) … Localement les effets sur l’écosystème forestier sont dévastateurs : sols dégradés, artificialisation, ressource en eau moins protégée, érosion de la biodiversité, paysages sinistrés …

Or, si la forêt joue un rôle très important dans la lutte contre l’effet de serre (elle stocke chaque année 15 % des émissions de CO2 nationales), encore faut-il lui maintenir sa capacité à agir ainsi.

Tout d’abord, l’essentiel du stock de carbone est dans les sols (79 tonnes à l’hectare, contre 59 dans les arbres), soit 2000 Mt pour l’ensemble des sols métropolitains. Les derniers scénarios de l’INRA (2017) montrent que l’intensification projetée (plantations, utilisations importantes du bois énergie et d’oeuvre, augmentation des prélèvements) demanderait quelque 6 Mds € (contre 100 M€ actuellement) et seulement 30 M€ d’investissements en forêt.

Conclusion : l’industrialisation de la forêt est croissante et vu les contextes énergétiques à venir, il est urgent de réagir. Cette industrialisation, qui résulte de politiques publiques décidées au nom des citoyens, a commencé à dégrader les fonctions environnementales et sociales remplies par la forêt : protection de l’eau, des sols, de l’air, biodiversité, paysages,accueil du public … Tout se passe comme si pour continuer encore un peu à consommer toujours plus d’énergie, notre société était prête à sacrifier la forêt et les services qu’elle nous rend. La forêt est pourtant un de nos seuls atouts pour amortir les conséquences du changement climatique en cours.

  • Les forêts publiques sont menacées par l’évolution budgétaire et industrielle de l’ONF (financement par la vente de bois passé de 55% à 35 % de son CA malgré une augmentation des coupes, non revalorisation depuis des années de la participation de l’Etat à la gestion des forêts des collectivités, charges supplémentaires imposées par l’Etat, dérive commerciale, suppressions massives d’emplois (- 22 %)). La privatisation, envisagée par Bercy et évoquée maintenant par la Fédération des Communes forestières, serait une catastrophe, livrant les forêts publiques aux grands groupes, diminuant la qualité de gestion, supprimant la péréquation de services entres forêts pauvres et forêts riches.

  • L’ONF doit pouvoir exercer des missions régaliennes (gestion durable et surveillance des forêts de l’Etat et des collectivités, péréquation entre forêts pauvres et riches, police de la nature, recherche, accueil et éducation) avec un vrai budget Ministériel indépendant des ventes de bois ou de services commerciaux.

    POUR LA FORÊT ET LA POLITIQUE FORESTIÈRE

  • La forêt et ses services (bois, amélioration des sols, stockage carbone, épuration de l’air et de l’eau, maintien des sols en montagne, récréation, santé) est essentielle à notre pays et plus largement à l’humanité.

  • La menace climatique est le plus grand danger pour la forêt : Sa biodiversité est une des clés de sa résilience. Sa fonction de puits de carbone est fragile et il faut laisser en forêt au moins 25 % de la production biologique pour maintenir l’équilibre des sols et fixer le carbone (79 tonnes par ha dans les sols forestiers). Il faut encadrer par des chartes régionales la mobilisation et l’utilisation du bois-énergie, cesser les appels d’offre CRE (les demandes qui figurent dans les plans Européens et Français sont irréalistes et contribueraient à déstabiliser le bilan carbone de la forêt) – de 70 à 85 Mm3 prévus à l’échéance 2020 (trois fois la consommation actuelle) , soit de 50 à 60% de la production biologique. Or, toute décapitalisation rapide (surtout s’il s’agit de bois-énergie) en terme de stocks de carbone entraînerait un bilan négatif de la filière forêt bois alors que l’urgence climatique impose d’augmenter ces stocks au moins pour quelques décennies cruciales.

  • Le problème central de la filière n’est pas d’avoir plus de bois mobilisé, mais de savoir mieux utiliser le bois existant (le déficit du commerce extérieur de l’ordre de 6 milliards est pour 91 % dû aux importations de produits transformés (papiers, pâtes, cartons, meubles, etc) et non au manque de bois brut.

  • La production biologique est répartie sur l’ensemble des forêts nationales, mais plus de 30 % de ces forêts ne sont pas ou peu exploitables selon L’UICN (montagne, milieux sensibles, morcellement, nature des produits, niveau de prix, volonté des propriétaires). De plus, la quasi-totalité des stocks acquis ces dernières décennies est en forêt privée. La mobilisation supplémentaire ne doit pas se faire dans les forêts déjà à flux tendu que sont les forêts publiques.

  • Il faut mettre en place des certifications plus exigeantes ( voir analyse comparée des dispositifs de certification réalisés par FERN – dans notre plaquette) permettant d’engager des sylvicultures plus résilientes et bénéficiant à la biodiversité. La fiscalité forestière peut être un levier important pour cette mutation (voir nos propositions précises dans notre plaquette forêt).